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“Nous, qui désirons honorer les penseurs, même si nous vivons au centre du monde, ne pouvons nous empécher de trouver frappant et peut-être scandaleux que Platon et Heidegger, alors qu'ils s'engageaient dans les questions humaines, aient eu recours aux tyrans et aux dictateurs. Peut-être la cause ne s'en trouve-t-elle pas dans les circonstances de 1'époque et moins encore dans une préformation du caractère, mais plutôt dans ce que les Franlçais qualifient de déformaton professionnelle. L'attrait de la tyrannie peut se démontrer théoriquement chez presque tous les grands penseurs (Kant étant la grande exception). Et si cette attirance ne ressort pas de leurs actes, c'est uniquement dû au fait que seul quelques-uns furent disposés à dépasser “la capacité de s'étonner de ce qui est simple” et “de faire de cet étonnement leur demeure”.
Hannah Arendt : Éloge de Martin Heidegger pour ses 80 ans.
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1924. La ville universitaire allemande de Marburg. Hannah Arendt a 18 ans, Martin Heidegger en a 35. Elle est juive et étudie la philosophie, il est philosophe et professeur réputé, qui met la dernière main à son importante œuvre “Sein und Zeit”.
Peu de temps après leur rencontre, ils s'engagent dans une relation qu'Arendt qualifiera de “la plus grande histoire d'amour de sa vie”. Trois ans plus tard, cette relation prend fin, essentiellement parce que Heidegger, marié, père de deux garçons, professeur d'une université prestigieuse, ne peut se permettre telle liaison. Hannah Arendt part à Fribourg où elle rédige, sous la supervision du philosophe K.Jaspers, un ami de Heidegger, sa thèse de doctorat dont le sujet est I'amour dans l'oeuvre de saint Augustin.
Sous la pression du nazisme montant, Arendt est obligée de quitter I'Allemagne. Elle va d'abord à Paris puis part pour New York en 1941. Heidegger reste par contre en Allemagne, et devient un membre éminent du NSDAP. Dans les années trente, en sa qualité de recteur de l'université de Fribourg, ii s'occupe de la réforme des universités allemandes. Dès la fin des années vingt,
il exprime son inquiétude face au Verjudung des gestliches Leben in Deutschland (I'enjuivement de la vie spirituelle en Allmagne). En 1938, Heidegger se retire de la vie publique après avoir abandonné quelques années auparavant le rectorat de l'université de Fribourg. Après une rupture de 17 ans - leur dernière lettre est datée de I'hiver 1933 - Arendt renoue avec Heidegger en 1950. Cette fois, des échanges réguliers se poursuivront jusqu'à la mort d'Arendt en 1975.
Arendt sait pertinemment que Martin “notorisch immer und überall lügt” (Martin ment notoirement, toujours et partout), et de surcroit, il affiche une indifférence glaciale envers son œuvre. Néanmoins, elle choisit d'être son agent littéraire, son attachée de presse et même son avocate.
“... même si toutes les critiques de Platon étaient justifiées, Platon peut toujours être de meilleure compagnie que ses critiques.“
Hannah Arendt : Between Past and Future. (La crise de la culture)
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Ryszard Turbiasz et Carly Wijs incarnent respectivement Martin Heidegger et Hannah Arendt dans la pièce de théàtre “Wat is denken? “(Ou'est-ce que penser ?).
La pièce ne prend pas pour thème principal I'histoire personnelle de ces deux êtres, mais la grande passion que partageaient les deux philosophes : penser. Le spectacle “Wat is denken ?” n'offre pas de réponse à la question contenue dans le titre, mais tente d'éclairer le sujet à partir de différentes perspectives. Les auteurs de la pièce ne réfèrent à la vie privée des deux philosophes que pour mieux comprendre la question et visualiser leur passion pour la pensée.
Pour écrire cette pièce, Carly Wijs et Ryszard Turbiasz se sont inspirés de l'oeuvre de Hannah Arendt et de Martin Heidegger, de leurs journaux intimes, de feur correspondance et de leurs biographies.
“Penser est également solitaire, c'est un dialogue silencieux awc moi-même. Je me retire dans le désert et contemple le monde à distance. La pensée habite le désert, loin du monde habité, mais ne s'en détourne pas.”
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